S’il existe une compétence clé pour devenir un grand manager et un grand leader, c’est bien la réflexivité. Cette compétence fait partie des « soft skills », les compétences douces, ces compétences personnelles et relationnelles devenues incontournables dans le monde du travail.
L’enjeu est de devenir un leader réflexif. Cette réflexivité rejoint la responsabilité sociétale du manager, car elle introduit une composante éthique dans les décisions et les comportements.
Qu’est-ce que la réflexivité en management ?
Je retiendrai deux définitions. La chercheuse anglaise Ann Cunliffe nous dit qu’être réflexif c’est « questionner nos cadres de pensée dictés par des habitudes sociétales, culturelles, éducatives ». La seconde est du psychanalyste lyonnais René Roussillon : être réflexif, c’est «en tant que sujet, pouvoir se sentir, se voir, s’entendre, s’auto-représenter son développement psychique ».
Il s’agit donc de « se regarder faire », de mettre un peu de distance avec ses actes et d’introduire le « pourquoi », au lieu du « comment ». Pourquoi ai-je autant de peur de prendre la parole devant mon N+1 ? Pourquoi est ce que j’ai besoin d’accomplir des tâches qui ne relèvent pas de ma mission mais de mes collaborateurs ? Pourquoi est ce que je suis incapable d’envisager de reprendre l’entreprise familiale ? Pourquoi ai-je autant envie de cette promotion ?
La réflexivité peut aussi s’appliquer à la vie personnelle. C’est par exemple se questionner sur les relations qu’on entretient avec son enfant, ses parents, ses proches …. Pourquoi ce blocage avec mon ado ? Pourquoi mon fils de 4 ans est aussi intenable ?
C’est l’idée de s’arrêter pour réfléchir. C’est aussi s’autoriser à penser, ce qui, mine de rien, n’est pas une pratique tellement courante dans nos vies surbookées, où nous sommes toujours dans l’action.
Pourquoi cultiver la réflexivité au travail ?
Les études et les témoignages montrent que pratiquer la réflexivité permet de
- être plus en phase avec soi-même,
- avoir des relations aux autres plus sereines,
- aller vers un mieux vivre dans l’organisation ou le milieu familial.
- être plus innovant, car mettre en questionnement sa vision du manager aide à aller vers des solutions
- prendre de meilleures décisions
On peut aussi envisager la réflexivité comme apprenante et permettant à ceux qui la pratiquent de se grandir d’un point de vue personnel et professionnel.
La réflexivité s’apprend en situation professionnelle
La réflexivité n’est pas donnée, elle s’apprend. On peut regretter que le monde éducatif français ne la favorise pas, contrairement à d’autres pays comme les USA ou le Danemark, où le questionnement et la pensée critique sont au cœur de la pédagogie.
C’est donc souvent à l’âge adulte, et parfois fort tard qu’on va pouvoir apprendre à être réflexif.
Les modalités sont nombreuses et les dispositifs souvent très élaborés, mais des moyens simples peuvent être mobilisés pour avancer dans cette exploration. Il semblerait néanmoins difficile d’être réflexif tout seul. La présence d’un tiers parait nécessaire, d’abord pour aider à cette prise de recul sur soi, ensuite pour accompagner les changements que cela peut amener sur l’image qu’on a de soi et du monde qui nous entoure.
Bien sûr les psychanalystes, les psychologues sont particulièrement formés à ces techniques d’écoute, de questionnement et d’aide à l’introspection.
Comme méthodes, on peut citer le coaching, l’accompagnement personnalisé, les « learning team », la supervision d’un référent. Les méthodes peuvent être la tenue d’un journal où on raconte ce que l’on fait avec les questions que cela pose, le dessin de son autoportrait, la narration de son activité professionnelle du jour dans des memos vocaux.
Les conditions de développement de la réflexivité dans l’entreprise
Il faut penser trois choses :
- La gestion du temps pour introduire ces pauses ou ces formations dans un emploi du temps toujours chargé,
- les structures car les espaces ouverts et collaboratifs favorisent la réflexivité,
- et enfin le financement avec l’idée qu’il y a là un investissement immatériel, ce qui est loin d’être une évidence dans le monde du travail.
On explore peu à peu ses envies et ses freins. On identifie ses valeurs. On met au jour son histoire personnelle. On interroge ses croyances mais tout cela sans objectif autre que cette connaissance de soi et de son histoire, en se dégageant de la tyrannie de l’objectif. Une idée force est que cette réflexivité est apprenante.
Une source intéressante est l’ouvrage de D. A. Schön paru en 1983 : The reflective practitioner: How professionals think in action. New York: Basic Books.