Avec #metoo, les normes qui régissent les relations entre hommes et femmes dans le monde du travail, et plus largement dans nos sociétés changent : nous assistons à un renversement de ce qui est normal et de ce qui ne l’est pas. Eclairage de ce mouvement inédit avec Goffmann et son concept de stigmatisation.
Les normaux et les stigmatisés dans la société
Dans toute société, s’établissent des normes, c’est-à-dire des règles qui régissent les rapports entre ses membres. Il est essentiel de comprendre que ces règles sont CONSTRUITES par les personnes et n’ont aucune raison d’être EN SOI.
Chaque collectivité établit donc des hiérarchies entre des catégories de personnes avec les « normaux » et les autres. Les autres étant considérés comme inférieurs, et même indésirables. Ce processus de dévaluation de certaines personnes est appelé par Goffmann « stigmatisation ». Les personnes sont stigmatisées, et souvent mises à l’écart.
Le mot vient du grec « stigma » qui désigne une marque durable sur la peau et par là-même le signe que portaient des traitres, des esclaves, des criminels, toutes personnes à éviter, et considérées comme pas humaines à part entière.
Goffmann reprend donc ce mot de « stigmate » pour tout attribut pouvant différencier une personne de la « normalité », son analyse se centre sur le handicap. Qu’observe-t-il ? que les personnes en situation de handicap visible sont « discréditées », « stigmatisées » par les normaux, ceux et celles qui sont en bonne santé.
La stigmatisation : un processus relationnel
- Cette notion de stigmate peut être élargi à tout autre attribut corporel, comme l’apparence physique ; ou attribut personnel : son passé, son orientation sexuelle… ou son sexe ! Etre une femme peut donc être considéré comme un attribut.
- Le stigmate doit s’analyser en termes relationnels. Clairement dit, le fait d’être une femme ne renvoie pas automatiquement à l’infériorité. C’est bien nos sociétés qui ont construit cette norme de relation entre les sexes.
- Les stigmatisations sont véhiculées par les images, les media : c’est le cas des publicités « porno-chic », des films avec leurs scènes de séductions « viriles », des transmissions dans l’éducation… qui renvoient systématiquement à des stéréotypes de femmes soumise et séductrices.
- Ce qui peut s’analyser au niveau de la société ou de collectivités (comme des entreprises), se décline au niveau interpersonnel : certains hommes stigmatisent les femmes en les percevant comme inférieures, et, du fait de conditionnement sociétal, les femmes portent le « stigmate de la féminité ». De ce fait, beaucoup grandissent avec une identité sociale et personnelle dévaluées a priori.
Si par malheur, elles sont les victimes de harcèlement sexuel, même le plus minime, elles risquent d’entrer dans un processus d’auto-stigmatisation, avec perte d’estime de soi.
Le monde du travail régi par une norme virile
Dans le monde du travail et pour reprendre le vocabulaire de Goffmann, les « normaux » sont masculins avec les attributs de la virilité. Citons la force, l’audace, l’autorité, la conquête, la pouvoir …
Les « stigmatisés » sont ceux et celles qui n’ont pas ces attributs de virilité. Depuis des siècles, les entreprises se sont forgées autour de codes essentiellement masculins comme le démontrent le rapport au temps avec le présentéisme, l’absence de prise en compte de la vie privée, les valeurs véhiculées (au hasard : le marketing guerrier et la conquête des marchés) ….
Cela ne veut absolument pas dire que tous les hommes sont à mettre dans ce même « camp », ce qui ne veut pas signifier non plus que les femmes sont des victimes consentantes qui sous-entendraient qu’elles ont leur part de responsabilité. Les situations individuelles sont d’une variété et d’une complexité immenses, mais de façon collective, c’est bien cette construction de la norme sociétale que nous observons.
Toute norme, étant un construit, toute stigmatisation étant un processus relationnel, tout stigmate se définissant dans le regard d’autrui, tout cela peut se renverser.
Renverser la norme pour en construire une autre : c’est possible
Et c’est ce grand renversement que nous connaissons actuellement. La normalité ne change pas de camp, elle se construit différemment. Il est vrai qu’elle passe actuellement par la stigmatisation des hommes harceleurs (et il faut être vigilant sur les dérives). Il ne faut pas s’en arrêter là ! Ce mouvement va permettre de construire une nouvelle norme : celle basée sur la liberté du consentement et de l’égalité dans les relations, quel que soit le sexe.
L’attribut « féminité » ne sera plus un stigmate, dévaluant celle (ou celui) qui le porte.
Grâce à ces # et ces témoignages massifs, ce ne sont plus quelques entreprises qui connaissent le renversement de la norme, mais bien l’ensemble du monde du travail.
Ce qui était « normal » dans l’entreprise ne l’est plus
La normalité n’est plus celle d’un homme qui fait valoir son pouvoir et sa séduction à une femme supposée soumise et séductrice. La nouvelle normalité est celle du libre consentement dans une convention d’égalité valable pour les hommes comme pour les femmes.
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