L’effet Matilda ou l’invisibilisation des femmes

En un clin d'œil

Malgré la multiplication des manifestations en tout genre sur le thème de l’égalité femme-homme force est de constater, qu’en dehors des catégories protégées, c’est-à-dire là où les femmes sont en compétition avec des femmes, elles restent les laissées pour compte de la reconnaissance publique. Cette invisibilisation a pour nom l’ « effet Matilda ». Un effet à combattre pour permettre l’émergence de femmes leaders.

L’ « effet Matilda » ou les femmes rendues invisibles dans les sphères du pouvoir

L’effet Matilda doit son nom à la militante des droits des femmes américaine Matilda Joslyn Gage qui a, la première, observé ce phénomène d’invisibilisation des femmes, à la fin du XIXe siècle.

L’effet Matilda décrit la minimisation voire l’occultation de l’apport des femmes dans une découverte ou des travaux scientifiques majeurs. On peut au passage signaler qu’il existe aussi pour tout ce qui est création artistique. C’est l’historienne Margaret Rossiter (« The  Matilda Effect in Science », Social Studies of Science, Londres, Sage Publ.,‎ mai 1993, p. 325-341), qui l’a mis en évidence en analysant au début des années 90 la part faite aux femmes dans la mémoire scientifique au regard de leur apport effectif. Elle montre que de très nombreuses femmes scientifiques et ce, dès le Moyen Âge ont été littéralement effacées de la mémoire collective, et que d’autres se sont fait spolier de leurs inventions. Ce fut ainsi le cas pour Trotula de Salerne, femme médecin italienne du XIIème siècle, dont les livres ont été attribués à des auteurs masculins après sa mort.

L’effet Mathieu : on ne prête qu’aux … hommes ?

Avant Margaret Rossiter, le sociologue Robert King. Merton avait mis au jour dans les années 60 l’effet Mathieu dans ses travaux portant sur la question de la valeur scientifique et du processus de reconnaissance des personnes ayant fait progresser la science. L’effet Mathieu désigne le phénomène d’attribution à une personne de la paternité d’une œuvre ou d’une découverte, laissant dans l’ombre d’autres contributeurs qui ont effectivement œuvrer pour le projet. Ce processus de mise en lumière de certains au détriment d’autres laissés pour compte illustre bien la phrase de l’apôtre Mathieu : « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance … ». En bref, la notoriété va à la notoriété.

De tristes statistiques

Si on analyse les prix Nobel, on observe deux phénomènes :

– seules 50 femmes ont été nobélisées ce qui représente à peine plus de 5 % des prix,

– la genrisation des récompenses puisque plus de la moitié des femmes nobélisées l’ont été en littérature et pour leur action en faveur de la paix.

La palme de la misogynie revient à l’économie avec une seule femme reconnue Elinor Ostrom en 2009 et encore ! Avec un pris partagé avec Oliver Williamson…

La première explication de cette absence est évidemment leur faible nombre dans les rangs des scientifiques de haut niveau : le vivier étant beaucoup plus petit, la probabilité de voir une femme émerger est d’autant plus faible, tout simplement.

Comment remédier à cette discrimination vis-à-vis des femmes ?

Ce palmarès surligne encore une fois la carence de femmes au plus haut niveau de la science. Une fois de plus, c’est bien avant le prix Nobel que ce type de fait social se met en place. Au risque de se répéter (mais la pédagogie n’est que répétition), Les conditions pour remédier à ce qui est une discrimination peuvent se résumer à cinq actions :

1/ Avoir un jury paritaire (on en est très loin),

2/ guider très jeunes les petites filles vers la recherche, de nombreuses actions sont menées en ce sens mais les statistiques sont têtues et montrent que les progressions sont faibles dans les métiers des sciences dures,

3/ aider les jeunes femmes à mener une carrière qui reste challengée par une vie familiale, l’âge moyen du premier enfant coïncidant avec le moment idoine du lancement d’une carrière professionnelle (un peu avant la trentaine en France), et les statistiques INSEE de la répartition des tâches ménagères démontrant année après année que la double vie féminine n’est pas un mythe,

4/ tout au long de leur vie professionnelle, convaincre les femmes de lutter contre l’autocensure qu’elles s’infligent. Tant qu’elles affirmeront que leurs résultats importent plus qu’elles même et ne sauront se placer dans la lumière, en pensant que la gloire n’est pas un but en soi, elles participeront à cet effet Matilda. Publier seules ou entre co-signatrices serait une piste (80 % des auteurs femmes ont co-publié avec un homme en économie en 2000).

5/et last but not least, obtenir le plein engagement de leurs collègues et disciples hommes, pour qui l’autoroute est actuellement sans péage. Le travail en équipe doit être mixte et la juste reconnaissance des engagements est un pilier de la déontologie scientifique.

C’est un vaste programme, mais « laisser du temps au temps », ou se contenter des faibles progrès obtenus depuis plus d’un siècle serait une défaite annoncée.

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