Pendant très longtemps, le leader se devait d’être un gagnant, un winner ! Un homme ou une femme, doté.e de la « gagne », comme on dit dans le sport. Pourtant, même dans ce domaine, les valeurs évoluent. Quelle vision avons-nous des leaders au 21ème siècle ? Winners ou loosers ?
Une nouvelle polémique
En novembre 2018, lors des cérémonies de souvenir de la fin de la première guerre: Donald Trump lançait une nouvelle polémique ! Selon celui qui était encore le président des Etats Unis, les soldats morts pendant la première guerre mondiale sont des « losers », des perdants ! Au-delà de l’atteinte au sentiment patriote et de l’irrespect pour des hommes tombés au combat pour leur pays, Trump surligne avec grossièreté la survalorisation si partagée de la victoire et de la réussite.
Or, depuis quelques années, la vision du leader éternel victorieux, marque le pas. Le triomphe est certes remarquable, mais pas durable. L’idée que la victoire n’est pas une fin en soi se diffuse lentement mais certainement.
Le leadership n’est plus ce qu’il était
Le leadership du XXIème siècle n’est plus celui d’une figure surplombante campée sur son piédestal. La vision actuelle refuse l’omniscience et l’omnipotence. Elle inclut de plus en plus des leaders acceptant leurs faiblesses, leur vulnérabilité, leur capacité à partager leurs doutes.
« Un loser est quelqu’un qui croit qu’une victoire va changer sa vie », écrivait le grand champion de tennis Mats Wilander dans sa chronique de L’Equipe en mai 2010. une affirmation complètement contre-intuitive, et même énigmatique qui demande à être analysée avec attention quand on travaille la question du leadership.
Que veut-il nous dire ? Alors que tous les enseignements, toutes les prescriptions sur le leadership mettent en avant la capacité à emmener ses équipes vers des victoires, grandes ou petites ? Un vrai leader ne serait donc pas cet homme (ou cette femme bien sûr) tourné vers la réussite, mécontent de l’échec, et déçu par un faible engagement ou une implication timide de ses équipes ? La volonté de réussir n’est-elle pas le levier principal du leadership ? La « gagne » ne serait plus l’amorce du cercle vertueux menant les équipes à la victoire ?
Qui est un winner ?
Que serait donc un winner ? Lisons la suite de la citation : « Pour moi, Nadal est l’archétype du winner. Et il le sera dans tout ce qu’il entreprendra pour le reste de sa vie. (…) Il peut perdre ou gagner, ça ne change rien, absolument rien, à ce qu’il tente d’accomplir. Rien ne le dévie de sa route. Et il met tout dans son sac à expérience, le bon comme le mauvais, pour le transformer en énergie positive. »
Winner ? Loser ? Le secret du leadership serait donc la façon d’envisager la réussite et son corollaire, l’échec ?
Un éclairage nous est donné par un autre champion Bjorn Borg quand il affirme : « Si vous avez peur de perdre, alors vous n’osez pas gagner. ».
Si nous reformulons : pour savoir gagner, il faut savoir perdre, pour savoir réussir, il faut savoir échouer. Comment dépasser l’injonction et passer de l’intention à l’action ?
Pour passer à l’action : quelles clés ?
On peut identifier les attitudes clés suivantes :
- Apprivoiser l’échec pour ne pas avoir peur de perdre, car cette peur peut paralyser toute réflexion, brouiller tout discernement.
- Bien différencier ce qui est de notre responsabilité, et ce qui relève de causes extérieures sur lesquelles nous n’avions pas de prise. En cas d’échec, cela permet d’avancer, sans se morfondre. En cas de victoire, cela permet d’identifier le facteur chance, et peut rendre modeste.
- Echouer mieux (le fameux « fail better » de Samuel Beckett, dans Worstward Ho …). Le propos est de savoir « innover dans ses erreurs », ce qui amène à comprendre suffisamment ses échecs pour ne pas les recommencer à l’identique.
L’indifférence à la victoire pour être un leader durable
A écouter nos champions, une certaine indifférence à la victoire semble être essentiel pour « durer ».
Ces leaders perçoivent l’échec et la réussite comme indissociables, et apprenants, tels le yin et le yang de l’activité humaine. Cela conduit à ne pas surestimer et tout attendre de la réussite, et même de la traiter avec distance, comme de ne pas avoir peur de l’échec.
Il s’agit ensuite de faire passer le message à ses équipes : leur faire comprendre qu’on peut perdre beaucoup avec une victoire, comme gagner beaucoup d’un échec. Une nouvelle grammaire du leadership, un changement de paradigme en phase avec les attentes des décennies à venir.