Dans certaines organisations, la façon dont les décisions sont prises, ressemble au remplissage d’une poubelle ! Cette image est étonnante et a donné son nom à une théorie « the garbage theory ». Ce modèle de décision décrit comme erratique et incohérent est mal évalué, mais … peut être très intéressant quand il faut décider en situation de crise. Démonstration !
La théorie de la poubelle : une façon de décider très spécifique
En étudiant les universités américaines à la fin des années 60, trois chercheurs Cohen, March, et Olsen, ont décrit ces organisations comme des « anarchies organisées » et leur système de décision comme « le modèle de la poubelle ».
Ils identifient trois grandes caractéristiques :
– Les préférences qui guident les décisions se dessinent au fil de l’action, de façon pas toujours cohérente.
– Le processus de décision repose sur des séries d’essais/erreurs et toutes sortes de bricolages, et chemine de façon erratique, sans que sa logique soit bien identifiée par les participants mêmes du processus.
– La participation des membres de l’organisation à ce processus est fluctuante, leur engagement varie selon les situations, ce qui rend difficile sinon impossible de savoir qui est vraiment engagé dans le processus décisionnel.
La poubelle à décisions de l’entreprise
On observe les croisements constants de quatre « flux » indépendants : des problèmes, des solutions, des participants et des choix, sans qu’il n’y ait véritablement de logique dans ces croisements.
On a donc dans ces organisations :
- des solutions à la recherche de problèmes,
- des questions à la recherche de réponses,
- des décideurs à la recherche de décisions à prendre,
- et des décisions… qui rencontrent des problèmes.
Le tout se côtoie sans aucune logique ni plan établi, comme dans une poubelle (avant le tri !) on peut trouver une boite de conserve vide et la dernière facture d’électricité.
Des exemples de prise de décision selon le modèle de la poubelle
La décision prise en quelques minutes sur des dossiers très complexes, par manque de temps ou de maitrise des informations.
– Des recrutements de personnes à qui on cherche des missions… ensuite,
– La production d’études ou de projets sans utilité mais parce qu’il y a des financements,
– La mise en place de technologies sans avoir identifié le besoin préalable,
– La remise en cause de processus de choix très rationnels par quelques personnes, juste par opposition,
– Des décisions contraires à ce qui était prévu du fait de l’absence de participants,
– Des problématiques émergentes qui ont soudain la faveur des participants, parce qu’elles permettent d’éviter les vrais problèmes…
Les décisions prises provoquent la surprise, l’incrédulité, le mécontentement. Un choix qui semblait évident n’est pas retenu, une option préparée de longue date n’aboutit pas, un dossier qui soulevait l’enthousiasme de tous est rejeté.
Des dispositifs de décision faits pour ne pas décider
Il faut comprendre que dans les anarchies organisées, la décision joue un rôle bien différent que dans les autres organisations. La décision est en fait un rituel destiné à confirmer des statuts, des pouvoirs, à tester des relations de confiance. Elle est aussi l’occasion de se retrouver pour se regrouper, faire corps, montrer qu’on existe. Elle justifie aussi l’existence de certains postes ou de certains statuts.
Certes, les universités étaient le terrain de départ des chercheurs ayant mis au jour ces modèles. Elles continuent à tenir leur rang d’expertes en anarchie organisée, mais elles ne sont pas les seules organisations à mériter ce label.
Les poubelles à idées : un réservoir pour l’innovation en entreprise ?
On peut aussi retourner l’analyse : en pleine crise, ce système a priori très inorganisé et très illogique peut refléter une grande agilité dans la prise de décision, et un levier de créativité.
Dans l’urgence de milliers de problèmes à traiter, de difficultés à résoudre, de choix à prendre. C’est par exemple : avoir des solutions « toutes faites » qu’on va chercher au fond d’une poubelle à décisions, accepter des processus en zigzag … bref, manifester de la créativité et de l’agilité.
Bien décider, c’est aussi être imaginatif, flexible, capable de remise en cause… une autre façon de voir la théorie de la poubelle !