L’autre jour, je passais un moment avec des relations amicales, quand la jeune fille de la maison, une jeune femme, étudiante, d’une vingtaine d’années annonce à son père qu’elle « va travailler cet été ». Celui-ci la regarde longuement puis lui dit d’un air moqueur : « Tu vas TRAVAILLER ? Toi ? ». Je vois le visage de la jeune fille se refermer …. Fin de la scène.
Les petites touches d’humiliation ordinaire
Or, je connais cette jeune fille, elle est jolie et intelligente mais elle manque grandement de confiance en soi. Je comprenais pourquoi. Elle me le confirma quelques jours plus tard au cours d’un échange. Depuis son plus jeune âge, elle avait le sentiment que son père la « rabaissait » constamment. Elle ne faisait jamais assez bien pour lui et, malgré certains succès dans ses études ou dans le sport, elle manquait d’estime de soi.
Ce n’était pas de la violence, mais des petites touches d’humiliation ordinaire, sans véritable intention de nuire. Des petites phrases assassines comme celle que j’avais entendue, qui, jour après jour, année après année, sapent toute confiance en soi, de ceux ou celles qui en sont victimes.
Il me semble qu’en France, on attend beaucoup du management et des managers dans le domaine de la bienveillance, de la confiance, et de la motivation, comme si l’entreprise pouvait tout, et réparer les manquements de toute la chaine éducative. Il en est de même dans beaucoup de domaines mais celui-ci est patent.
Une culture punitive
Nous vivons en France dans une culture négative voire punitive. C’est le cas de l’école, du CP aux études supérieure, où le maître, le professeur est plus prompt à se servir du stylo rouge qu’à féliciter. Il en est de même pour les parents qui se fixeront sur les « points faibles » (la mauvaise note en math du bulletin) plutôt que ce qui est positif (la belle évaluation en histoire ou en sport).
J’ai toujours été fascinée par l’attitude très différente qu’ont les parents dans les squares. En France, quand un enfant veut grimper sur une des structures qui se trouvent dans les jardins publics, les parents français vont lui dire « Fais attention ! « , « Tu vas te faire mal ! », « Attention à ne pas tomber ! », alors que dans un jardin américain, on entend : « Yes, it’s great », « You make it ! », « Good job ! » … Là, on se crispe, on est négatif et soupçonneux, ici on encourage, on félicite, on pousse à aller plus haut. Les exemples pourraient se multiplier
Les mots sont des projectiles
On ne mesure pas assez le poids des mots ou des « petites phrases ».
J’en ai eu l’expérience à de nombreuses reprises, quand un enfant, un ami, un collègue, un collaborateur revenait sur des mots que j’avais prononcés qui avaient pu heurter ou au contraire soulager, alors que je n’en avais pas le moindre souvenir, ni non plus identifié les enjeux sur le moment.
Ces petites phrases assassines sont comme un essaim de guêpes qui tuent un homme en le piquant toutes en même temps. Laquelle a finalement infligé la piqûre fatale ? Celle qui, ajoutée aux autres a entrainé la mort ? Personne ne sait.
Il en est de même des petites phrases assassines, comme les gouttes d’eau qui remplissent peu à peu le vase, elle sature l’espace vital de celui ou celle qui les subit, jusqu’à la rupture. Cette rupture peut être retournée contre lui : c’est la dépression, le burnout, la tentative de suicide … ou contre les autres : « le pétage de plombs », la méchanceté, le harcèlement en retour vers d’autres proies…
Changer
Pouvons-nous changer cette façon de faire ?
Certainement, c’est à la fois très simple et très compliqué. Très simple car il suffit de changer la façon de voir le monde, et la façon de dialoguer avec lui. Très compliqué car on touche à l’habitus, à la culture, à la transmission.
L’idée serait, dès le plus jeune âge de notre enfant, de s’efforcer d’avoir une attitude positive, pour l’aider à grandir, à évoluer dans ce monde très complexe. Tout faire pour qu’il acquière cette confiance en lui si vitale et si précieuse.
Il faut exercer notre vigilance pour éradiquer nos échanges de ces petites phrases assassines, et les remplacer par d’autres petites phrases mais cette fois « bienfaitrices » et porteuses d’estime et de confiance.
C’est un exercice auquel il faut s’astreindre au quotidien. Certes, le préalable absolu est d’y croire, car le « retour du refoulé » guette, et on peut se retrouver à dire le contraire de ce qui était prévu. C’est le trait d’esprit cinglant, la petite blague qui flingue, symptômes d’une trop grande maîtrise de soi qui connait des ratés, pouvant faire des dégâts énormes.
Inversons la machine à alimenter les ego
Il semblerait qu’il soit plus valorisant d’émettre des avis négatifs que des avis positifs, comme une résonnance de l’aube de l’humanité où la peur, l’angoisse, l’hyper vigilance étaient les garants de la survie. Tant pis ! Inversons la machine à alimenter les ego.
L’objectif est d’émettre des petites phrases positives, roboratives, qui permettent de se regarder de façon valorisante, d’évoluer dans un climat positif.
C’est le papa ou la maman qui encourage leur petit enfant, malgré ses lenteurs d’apprentissage. C’est le professeur qui « fait un signe » à un élève en difficulté. C’est le manager qui souligne la qualité du travail rendu. C’est un collègue qui félicite pour une promotion. C’est l’ami qui dit « Tu as un joli foulard ! » plutôt que : « Tu as mauvaise mine ! ».
Ce sont des choses de peu, mais, à rebours des gouttes d’eau qui peuvent noyer, des piqures d’abeille qui peuvent tuer, des petits coups qui peuvent déformer … les petites phrases positives permettent de remonter le petit moteur de la motivation et de l’estime de soi !
Ce n’est pas rien !