Quelles stratégies pour l’égalité femmes-hommes en entreprise ?

En un clin d'œil

Comment s’y prendre concrètement pour construire une égalité femmes-hommes pérenne dans une entreprise ? Quand observe les différents types de stratégies pour mettre en œuvre une égalité réelle, on constate qu’elles sont rarement couronnées de succès. Une explication est qu’elles sont fondées sur une vision du genre comme attribut des individus. Comprendre que l’entreprise est elle-même genrée permet de mieux avancer dans ce projet d’égalité. Le diagnostic est possible avec une grille empruntée à une chercheuse canadienne : Rutherford.

Premier constat : la faillite des dispositifs légaux sur l’égalité femmes-hommes en France

La première loi rendant obligatoire l’égalité femmes -hommes date de 1972 et elle a été suivie de sept autres. Pourtant, les inégalités persistent. Citons quelques chiffres :

  • Les femmes représentent en France 47 % de la population active mais 30% d’entre elles sont à temps partiels contre seulement 6,9 % des hommes !  50 % des femmes qui travaillent se répartissent dans 12 familles professionnelles alors que 50 % des hommes le sont dans 20 familles professionnelles.
  •  Autre chiffre édifiant : la part des femmes dans les Comex est de 3,3 %. Enfin, l’écart de salaire horaire à caractéristiques voisines est de 9% en faveur des hommes.

Cet arsenal juridique impressionnant sur l’égalité femmes-hommes s’est trouvé être relativement inefficace par manque de coercition, laissant aux entreprises le soin de la mise en œuvre… ou du contournement.

Deuxième constat : les limites des dispositifs d’égalité fondés sur les individus.

Les recherches sur le genre et les organisations permettent d’identifier plusieurs types de stratégies d’entreprises pour atteindre l’égalité femmes/hommes et en repérer les limites, voire les effets pervers.

Ces stratégies s’appuient sur une définition du genre comme un attribut des individus et vise à corriger les inégalités soit en réduisant les différences socialement construites entre hommes et femmes, soit en réévaluant le féminin. On retrouve dans de nombreuses entreprises, des actions issues des trois principales stratégies de ce courant.

La stratégie basée sur l’imitation

L’imitation part du principe que les femmes sont désavantagées dans la sphère du travail car elles ne possèdent pas les clés leur permettant d’atteindre les comités de direction, notamment les réseaux et les comportements politique). La solution est donc de les outiller – via des formations et du mentoring principalement – pour qu’elles parviennent à construire l’égalité, leur laissant tout le travail à faire.

Le problème, c’est que souvent, la pression est trop forte et « elles n’y arrivent pas », renonçant comme on le voit à des promotions ou des opportunités qui sont trop compliquées à gérer dans un univers masculin. Rien que l’idée de proposer des formations « spéciales femmes » fait passer le message qu’elles  « ne sont pas au niveau ». On commence mal !

La stratégie de compensation

La compensation s’organise autour de lois et de règlements concevant les inégalités comme étant structurelles, avec le risque de stigmatisation à l’endroit des femmes, les politiques de quotas relèvent de ce courant.

La stratégie de compensation est souvent un début obligatoire, mais il faut tenir bon pour ne pas développer chez les femmes un « syndrome de l’imposteur » : elles seraient favorisées parce qu’elles sont des femmes, et non pour leurs compétences, une variante de la « promotion canapé ».

La stratégie de renversement

Le renversement part de l’idée que les femmes ont des qualités spécifiques, insuffisamment reconnues, qu’il faut valoriser en prenant le risque de renforcer les stéréotypes. C’est l’idée qu’il existe un management féminin plus adapté à un certain type d’activité.

On entre alors dans une vision très « essentialiste » du genre, qui n’est peut-être pas complètement à rejeter, mais en comprenant bien que rien n’est complètement innée. C’est une approche qui présente de nombreuses limites dans le sens où elle alimente l’opposition femmes-hommes, au lieu de chercher des points de réconciliation.

Le genre relève de l’organisation : les entreprises ont un sexe !

Un deuxième courant adopte une définition plus élaborée du genre, vu comme un système de différenciation et de hiérarchisation des sexes qui est produit quotidiennement. Ce courant affirme que l’entreprise a une culture genrée : féminine ou masculine. Dans cette optique, c’est donc une transformation de la culture organisationnelle genrée qu’il va falloir conduire pour réussir l’égalité femmes/hommes.

Dans cette optique, les entreprises ont donc un genre. Comment le déterminer ?

Comment dépister le genre d’une organisation ?

Une grille proposée par Rutherford[1] aide à conduire un diagnostic du genre de l’entreprise. Elle comporte un ensemble de 9 critères. Passons-les en revue (ils sont aussi en illustration de ce billet):

1/ L’historique organisationnel

D’où vient l’activité de l’entreprise ? Ainsi une entreprise de transport ou de manutention, même si elle s’est féminisée a toujours un historique d’emplois masculins, parce que ce sont les hommes qui conduisaient, parce que le permis poids lourds se passait au service militaire, et parce que le matériel exigeait de la force physique. Les années passent, les conditions de travail permettent aux femmes d’accéder à ses emplois mais l’histoire de l’entreprise garde cette mémoire sexuée.

2/ La conscience de l’impact du sexe

Est-on dans une entreprise où les femmes ont compris qu’elles n’avaient pas leur place et que les rôles étaient assignés en fonction du sexe ? Si oui, l’entreprise est masculine. C’est-à-dire que les hommes ne se posent pas la question des changements à conduire dans leurs modalités de recrutement, d’accès à la formation puis de promotion de carrière. Les femmes sont alors dans l’autocensure et n’osent plus prétendre à quoi que ce soit tant elles se sentent illégitimes.

3/ Les artefacts matériels

Ce sont les objets qui peuplent le quotidien d’une entreprise. Ainsi, dans de nombreux hôpitaux, les hommes sages-femmes sont amenés à porter des accessoires adaptés aux femmes ou portant la couleur rose dédié pendant longtemps exclusivement au sexe féminin. Ce peut être aussi l’ameublement, l’aménagement des locaux qui proposeront une ambiance sexuée. C’est bien sûr le poids du matériel dans les métiers du bâtiment par exemple. Ce peut être tout simplement la présence de sanitaires pour les deux sexes… ou pas !

4/ Le langage et la communication

Que cela ne plaise ou pas, la façon de s’exprimer varie selon les hommes et les femmes. Le nier serait un refus du réel. Ainsi, dans certaines entreprises, les gros mots, les tournures de phrases, particulièrement les plaisanteries ou l’humour vont prendre une forme qui relève d’un des deux genres. Ainsi, de nombreuses femmes travaillant dans des entreprises masculines ont à se plaindre de plaisanteries ou de remarques, qui, même si elles ne sont pas directement à leur endroit, les blessent car dénigrent les femmes de façon brutale.

5/ Le style de management

Beaucoup de chercheuses dans ces domaines refusent l’idée d’un style de management genré, mais si on connait un peu les entreprises, on ne peut que constater qu’un manager-homme n’installe pas la même ambiance qu’une femme. Le management féminin serait plus empathique, plus tournée vers la personne, moins frontal. Est-ce le cas dans votre entreprise ?

6/ Les pratiques informelles

C’est souvent ce qui va trahir le discours officiel. Les temps informels, les codes officieux impriment une culture dans l’entreprise. Ainsi, quel type de sponsoring va-t-on choisir ? Le football ou la danse classique ? Quels types d’activités sont proposés aux salariés par le comité d’entreprise ? Quels services sont mis à disposition ?

7/ L’arbitrage des temps de vie

On distingue les temps professionnels mis à la disposition de la sphère du travail, des temps personnels relevant de la vie privée. Votre entreprise a-t-elle renoncé aux réunions importantes en tout début ou en toute fin de journée, permettant ainsi aux mères de familles  contraintes par la prise en charge des enfants (car ce sont bien elles qui le font en grande majorité) d’y participer ? Avez-vous le sentiment que votre vie personnelle est prise en considération et respectée ? Si la réponse est  positive à ces deux questions, la culture organisationnelle a de grandes chances d’être féminine.

8/ La sexualité

La sexualité est un tabou du monde du travail, on fait comme si les collaborateurs étaient neutres de ce point de vue. Pourtant, les statistiques montrent que c’est sur son lieu de travail qu’on a le plus de probabilité de trouver son futur conjoint. Mais quelle est sa manifestation ? Si ce sont des posters ou des écrans d’ordinateur qui montrent des pin-up ou des femmes dénudées, il y a une forte probabilité que l’entreprise soit très masculine.

9/ Les temps de travail

Est-on dans la culture des longues heures ? Arriver tôt repartir tard ? Ce qui exclut toute possibilité d’accompagnement des enfants à l’école. Les déplacements sont-ils nombreux ? Les horaires sont-ils atypiques ? Si la réponse est oui à ces trois questions, il y a une forte probabilité que l’entreprise soit jugée masculine, même si les mœurs évoluent. Enfin, vous propose-t-on des temps partiels sans problème ? Ou cela vous coupe-t-il à jamais des possibilités de promotion ?

Comment s’y prendre concrètement pour construire une égalité femmes-hommes pérenne dans une entreprise ?

Le projet peut être conduit en trois temps :

  1. Conduire un audit pour bien identifier le genre de sa culture organisationnelle,
  2. Construire un plan d’action couvrant les niveaux structurels, interpersonnels et individuels, car compter sur les stratégies personnelles ne peut suffire, même motivées les femmes ne peuvent construire l’égalité à elles seules,
  3. Positionner le projet d’égalité dans l’agenda stratégique de l’organisation car il s’agit d’une véritable conduite d’un changement structurant, requérant des arbitrages au plus haut niveau de l’entreprise.

En conclusion, les organisations ont un genre, et sans cette prise de conscience, les femmes risquent de longtemps se cogner aux murs tant réels que virtuels d’un espace de travail qui n’est pas conçu pour elles.

Ressource  : « Le rôle du genre dans la conduite d’une démarche d’égalité professionnelle, cas d’une grande entreprise de transport », thèse de doctorat de Marine Ponchut soutenue en novembre 2014 sous la direction d’Isabelle Barth au sein du laboratoire HuManiS de l’EM Strasbourg.


[1]Rutherford, S. (2011). Women’s work, men’s cultures: overcoming resistance and changing organizational cultures. London: Palgrave Macmillan