Ne dites pas à ma mère que je fais une thèse en sciences de gestion, elle croit que je cherche un emploi (sérieux et bien rémunéré) !

En un clin d'œil

Le constat est d’année en année le même : la perspective de se lancer dans un programme doctoral en sciences de gestion, ne fait pas rêver beaucoup d’étudiants et d’étudiantes.

Ils sont en effet de moins en moins nombreux à avoir le projet de continuer leurs études après le master 2.

Pourquoi se lancer dans une telle aventure ?

Faisons ensemble un tour de la question !

Le doctorat : un diplôme et une somme de connaissances

Faire une recherche doctorale, c’est bien sûr viser un diplôme à bac + 8, reconnu dans plusieurs univers professionnels, particulièrement les industries ou les secteurs scientifiques.

C’est aussi construire un projet de connaissances, théoriques certes, mais aussi praticables et actionnables.

Ces deux raisons sont en soi très positives, mais il y a beaucoup de « mais ». J’en retiens 6 que je rencontre souvent.

6 raisons de NE PAS se lancer dans une recherche doctorale

  • La première est la longueur du projet. Il faut compter en moyenne 4 ou 5 années. Une vraie gageure quand on sait combien le marché du travail est favorable aux diplômés bac +5 en management. Il s’agit donc de renoncer à des emplois pour s’inscrire dans une poursuite d’études longues.
  • Vient ensuite la précarité.  C’est la figure de « Tanguy », vivant au domicile de ses parents ! Il faut assumer un statut d’étudiant prolongé, avec des revenus qui ne permettent pas facilement d’envisager l’installation dans une vie avec ce que cela implique en termes d’investissements matériels, de stabilité affective voire familiale. (NB : il y a bien sûr les doctorants dits « professionnels » qui mènent leur recherche tout en travaillant : voir ci-dessous).
  • La charge mentale H24. Tous ceux et celles qui ont tenté l’aventure en témoignent : une thèse envahit tout. Il ne s’agit pas d’un simple projet professionnel mais d’un projet de vie et, dans les cas où le doctorant a déjà une vie familiale, il est extrêmement important que compagnon, compagne et enfants soient bien informés et acceptent ce pacte qui, quoiqu’il arrive, pèsera sur leur vie. Il n’est pas rare de voir aux soutenances des parents ou des conjoints épuisés de ces années qui ont remis en cause leur propre organisation de vie et les ont amenés à épauler le nouveau docteur dans des moments de doutes et de stress, plus nombreux qu’à leur tour.
  • Le stress et le doute. On ne mène pas un tel projet, sur une période aussi longue, sans stress ni doute. Malgré la présence du directeur de thèse comme des collègues de l’équipe de recherche, le thésard est souvent seul face à ses angoisses. Le travail de recherche est par définition une conduite de projet, avec toute l’incertitude associée quant au résultat attendu.
  • Le manque de valorisation des métiers d’enseignant-chercheur. Qui rêve en 2021 de démarrer après 8 années d’études et le grade de docteur, à 2 000 euros bruts par mois (salaire du maître de conférences débutant), alors que le salaire moyen d’un master 2 en gestion oscille autour de 36 000 euros annuels ? Ce qui fait que bien des docteurs se dirigent vers d’autres métiers que l’enseignement et la recherche, ou bien s‘envolent vers des pays qui considèrent mieux les chercheurs.
  • Et enfin, faire une thèse, c’est le moyen le plus sûr de perdre tout contact avec la réalité ! Dernier argument, en lien avec des représentations qui ont la peau dure, la perspective de devenir un « professeur Tournesol », un savant certes, mais complètement déconnecté de la « vraie vie ». Il faut bien admettre que les mois passant, le doctorant acquiert un langage de plus en plus codé, abscons, il ou elle s’identifie de plus en plus à une communauté avec ses rites et ses codes, qui peut sembler être repliée sur elle-même.

Mais il y a tellement de raisons faire une recherche doctoral !

  • Contribuer à la société. Concrètement en sciences de gestion, c’est aider les entreprises à agir sur leur environnement et à ne pas à le subir. C’est un enjeu important et positif et il est réjouissant de contribuer, même modestement, à un projet de société.
  • Apporter sa pierre à une discipline scientifique. Si les sciences de la vie, la philosophie ou encore la sociologie ou l’économie, n’ont plus à prouver leur légitimité, c’est encore un défi pour les sciences de gestion.  C’est là un projet tout à fait stimulant !
  • Une formidable stimulation intellectuelle. Tous les témoignages concordent sur ces mois de jubilation intellectuelle. On observe souvent une addiction à cette stimulation que le jeune chercheur voudra ensuite retrouver tout au long de sa carrière.

Se construire un portefeuille de compétences inédites, rares et recherchées

C’est aussi se construire un portefeuille de compétences inédites et rares. La recherche doctorale permet d’acquérir trois compétences auxquelles aspirent de nombreux managers de haut niveau. On peut citer :

– la capacité de déchiffrage, grâce au capital de connaissances acquis par les innombrables lectures et partages d’expériences de la recherche.

– la réflexivité, cette capacité à se regarder faire, à relire ses propres actions et leur inscription dans un environnement qu’on a appris à déchiffrer.

– l’apprendre à apprendre et à désapprendre, c’est-à-dire la capacité à engranger et réarranger de nouvelles connaissances. 

Au-delà des arguments rationnels, je n’ai jamais rencontré un docteur regrettant son choix. Terminer son parcours avec sa soutenance et obtenir le titre de docteur est une joie (et un soulagement ?)à nulle autre pareille. C’est rejoindre une communauté de personnes qui ont connu le même cheminement et qui se distinguent par leur soif d’apprendre et de comprendre, avec des outils et des méthodes pour cela.

C’est l’adoption d’une nouvelle posture face à la vie, une vision de l’existence où tout semble possible, une fois le cap établi et la volonté affirmée.

Le pourquoi de l’enfance

C’est le « pourquoi » de l’enfant que nous avons été et qui cherchait des réponses à tout ce qui l’étonnait, mais avec des outils et des méthodes que l’on maîtrise. Faire une recherche doctorale, c’est aussi sortir des croyances et des idées toutes faites, conquérir l’objectivité qui permet de sortir des conflits construits sur les « on dit ».