La Kakistocratie ! Quel mot bizarre !
Ce mot savant, comme beaucoup, est construit à partir de deux mots grecs :
KAKISTOS : le pire et KRATOS : le pouvoir
La kakistocratie, c’est donc le pouvoir des pires ! La direction par les incompétents. Le règne des médiocres.
Une situation très commune
La kakistocratie est une situation assez commune que vous avez peut-être rencontrée, ou que vous vivez actuellement dans votre vie professionnelle.
Réfléchissez, vous êtes-vous posé récemment cette question : « Comment mon chef, mon patron, mon manager est-il arrivé à ce poste, avoir ces responsabilités, en étant aussi nul ? ».
La seconde question qui vient ensuite est : « Comment peut-il rester en poste, alors qu’il est incompétent, et que tout le monde le sait ? »
Bienvenue en kakistocratie !
La kakistocratie : la perte de repères
Travailler en kakistocratie, c’est découvrir que l’incompétence et la médiocrité peuvent avoir de la valeur et c’est profondément perturbant.
En effet, depuis tout petit, nous entendons que pour réussir, il faut bien travailler, pour avoir un bon emploi, il faut décrocher un bon diplôme, pour mériter une promotion : il faut être le meilleur !
Et là, tout est inversé, nous perdons tous les repères qui guident notre existence : le mérite, l’effort, la compétence, le talent …
Nous éprouvons aussi un sentiment d’injustice car nous, nous avons travaillé dur pour mériter notre poste et notre salaire.
Et, au quotidien, être dirigé par une personne incompétente oblige à faire à la place de …, à compenser les dysfonctionnements qui en résulte, à vivre dans une frustration constante. Et même à avoir honte de son organisation.
Il est donc important de poser un mot, même compliqué, sur une situation qui peut nous laisser dans l’incompréhension car nommer les choses permet d’avancer.
Mais ça ne suffit pas, il faut maintenant comprendre le comment et le pourquoi de la kakistocratie.
Comprendre la kakistocratie
Pour bien comprendre, je vais distinguer deux types d’explications : celles qui relèvent de l’individu et celles qui relèvent du système.
Au niveau des individus
Au niveau individuel, les ressorts de la promotion par l’incompétence sont divers. J’en retiens trois :
- La première explication est ce qu’on connait sous le nom de principe de Peter, du nom du sociologue qui l’a inventé : que nous dit ce principe ? C’est que nous progressons dans nos fonctions tout au long de notre carrière jusqu’à ce que nous rencontrions notre seuil d’incompétence. C’est un phénomène très courant dans les organisations où on avance à l’ancienneté.
- La seconde explication de comportements kakistocrates est le : « piège de la compétence » ! C’est un chef de service, un manager qui va garder à tout prix dans son équipe l’expert, l’hyper compétent, favorisant la promotion de moins compétents.
- Et puis, il y a la peur de la compétence ! Le manager a peur de recruter ou de promouvoir des talents qui pourraient rapidement être des concurrents et le dépasser. Il vaut mieux s’entourer de « moins bons » qui ne lui feront pas d’ombre et qui lui permettront de briller !
Nous avons vu ce qu’il en était au niveau individuel, nous allons exploré maintenant un cas plus problématique : quand la kakistocratie devient un système organisé.
Au niveau de l’organisation
Quels en ont alors les leviers ?
- Le premier est la création de la dette. Si vous recrutez ou promouvez un bon ! Il trouvera cela tout à fait normal. Ce succès lui est dû, grâce à sa compétence. Mais si vous recrutez ou faites avancer un mauvais : vous créez une dette. Ce collaborateur incompétent vous reste redevable. La kakistocratie est là quand l’organisation fonctionne avec des relations fondées sur la dette.
- Le second ressort profond de la kakistocratie est la négation de la personne au profit du système. Puisque vous pouvez être recruté ou promu sans lien avec vos mérites et vos compétences, c’est bien que c’est le système qui décide et que vous n’êtes qu’un pion. On retrouve cette situation dans les systèmes politiques dictatoriaux.
- Le troisième est la configuration clanique. Et la préoccupation d’un clan est de se perpétuer quoiqu’il arrive. On recrute alors ses pairs, ses frères, ses sœurs, ses cousin… et on se retrouve avec le fils du patron !
Bien sûr, tout s’entrecroise et s’entremêle : le système nie la compétence et des individus pervers exploitent le dispositif à leur profit. Et puis, comme toujours, il y a les actifs et ceux qui regardent, indifférents ou qui désapprouvent … silencieusement.
La question de la loyauté
Au centre, se trouve la question de la loyauté. Dans la kakistocratie : la loyauté va à soi et à sa carrière et non pas au projet commun. La fameuse promotion pour bons et loyaux services ? Loyauté et services à qui ?
La kakistocratie, c’est bien sûr un contresens complet du management qui implique de savoir faire grandir ses collaborateurs et de recruter des talents pour contribuer à la réussite du projet commun qu’est une entreprise, une administration, une association …
Alors, comment, chacun, à son échelle, peut-il analyser où en est son entreprise ?
Le diagnostic de la kakistocratie
Je propose 4 étapes :
- Tout d’abord, faire un diagnostic de la situation quand on commence à repérer des signaux. Est-ce le fait de certains individus ou bien un système organisé ?
- Puis, se poser la question : est-ce que j’adhère ou au contraire, est-ce que je suis en souffrance ? Après tout vous êtes peut-être un kakistocrate … qui s’ignore. Ou peut être un incompétent qui le vit bien ?
- Ensuite : Ai-je le courage de faire changer les choses ? Il en faut du courage pour dénoncer la kakistocratie car, par définition, c’est mettre en cause ceux et celles qui ont le pouvoir et qui n’ont bien sûr aucune raison que ça change
- Enfin, à mon niveau, puis-je avoir un comportement différent et refuser des pratiques que je juge non éthique ou pour le moins contre-productives ? Jouer l’acteur contre le système !
Alors, comment sortir de la kakistocratie ?
Sortir de la kakistocratie
Trois pistes prometteuses pour changer la donne. Il s’agit de faire sauter des verrous.
- Recruter des femmes ! Non pas parce qu’elles sont plus vertueuses naturellement que les hommes, mais de nombreuses études montrent qu’elles ont un rapport différent à la légitimité et donc à la compétence. Les femmes (statistiquement) cherchent à être compétentes pour occuper un poste ou accepter une promotion. Elles sont donc moins enclines à accepter d’être promues sans avoir pleinement les compétences requises.
- Paradoxalement : accepter l’incompétence ! Mais pas pour l’exploiter, NON, pour la réduire. Le problème est qu’en France, une des bases de l’éducation est de ne jamais « avouer » qu’on ne sait pas ! On ne copie pas sur son voisin à l’école ! La réussite est vécue comme purement individuelle. Savoir demander, savoir compter sur ses collègues est la clé d’une équipe gagnante. Pas pour camoufler des erreurs ou des incompétences mais pour en tirer quelque chose. L’erreur est apprenante ! Se dire aussi qu’on peut apprendre tout au long la vie et qu’on n’est pas condamné à son incompétence en ayant peur que quelqu’un la dénonce.
- Une troisième piste, c’est le « name and shame » : pointer du doigt ces organisations qui sont kakistocrates, dénoncer leurs pratiques, et leur faire honte. Le sujet reste encore très tabou et l’organisation qui sert d’exemple aux rares études sur le sujet est … la Mafia ! Comme ça on ne fâche personne !
Nous avons tous envie de travailler différemment, et ce différemment inclut du sens, de la sérénité, de la transparence, de l’éthique, de l’équité … refuser de rejoindre une kakistocratie, la quitter, la dénoncer, dans un monde où le risque de réputation est si important est une façon de faire bouger les lignes.
Les kakistocraties, le pouvoir par les pires, se reproduisent, cela ne veut pas dire qu’elles sont des fatalités. Il est possible de rompre la chaine même s’il faut du courage pour le faire.
Ce texte est issu de ma conférence TedX Clermont Ferrand 2022.
Pour la visualiser :